Vous ne retrouverez pas ailleurs une telle concentration de données géologiques dans le paysage, et dans un cadre aussi spectaculaire. Et une chose explique l’autre…
Région autonome Vallée d’Aoste
Commune de Valtournenche
Parcours : à pied, allée/retour, avec montée en télécabine (sinon, voir encadré en fin d’article).

1. Les différentes roches des plateaux sous les Cime Bianche savamment distribuées dans l’édifice des alpages.
Accès en voiture ou car : depuis Châtillon (sortie autoroute A5 ou gare FS) direction Breuil-Cervinia ; dépasser le chef-lieu de Valtournenche (20 km) et rejoindre à gauche le départ de la Télécabine Cime Bianche.
Départ à pied : arrivée télécabine Cime Bianche (La Salette) 2280 m.
Point culminant : Motta di Plété Centrale 2870 m
Dénivelé : 600 m.
Temps de marche : 2 heures pour la montée plus les arrêts.
Balises : n° 20 jusqu’au Grand Plan (piste en terre), puis n° 21 et ensuite marche dans les pâturages.
Période conseillée : juillet-septembre.
Mise en garde : se renseigner des horaires de la télécabine ; en principe ouverture à 9 h le matin et dernière course à 17 h. Prix a/r 9 euro en 2014.
Cartes topo
Carta dei sentieri n° 7 Valtournenche 1 : 25000 – L’Escursionista editore.
Cartes géol
Atlas géologique de la Suisse au 1: 25000 – Feuille Matterhorn. Service hydrologique et géologique fédéral, Berne.
Carta geologica d’Italia alla scala 1:50000 – Foglio 070 Monte Cervino, in allestimento. ISPRA, Roma.
La route en terre, balise n° 20, s’élève peu à peu dans le vallon hérissé de pistes de ski, canons à neige et remontées mécaniques, en passant à côté d’un alpage-restaurant : cet exercice de patience dure à peu près trois quarts d’heure. Mais nous pouvons profiter de certains point de vue pour faire de la géologie aux jumelles, en observant la surprenante bande blanche qui sillonne la côte en face de nous (nord) et ses contacts très nets vers le haut : nous en reparlerons.
À proximité de l’alpage du Grand Plan (en ruine ; 2550 m) une flèche nous fait sortir à gauche de la piste en terre pour surmonter un petit verrou et rejoindre un replat souvent humide, traversé par le ruisseau de la Cleva Groussa. Sur les bords de ce ruisseau et plus loin sur la droite, où reprend le sentier n° 20, nous pouvons profiter de quelques affleurements de la roche formant le plateau de Manda-Salette sous nos pieds mais cachée depuis l’arrivée en télécabine. Beaucoup d’amphibole bleue (glaucophane) et d’épidote, quelques reliques de pyroxène sodique (omphacite) et de rares grenats nous fixent quant au faciès éclogitique de ce métamorphisme alpin. Il y a 45 millions d’années, cette roche a atteint les profondeurs maximales de la subduction au milieu d’une croûte épaissie et donc « froide », avant de refaire surface. Nous sommes donc bien dans l’unité océanique profonde nommée Zone Zermatt-Saas par les géologues suisses, formant la base de la succession piémontaise à l’affleurement.
Nous avons croisé ici le sentier n° 21 qui monte à l’intérieur du vallon ; nous l’empruntons maintenant pour traverser sur la gauche et remonter à mi-côte le flanc droit du même vallon. La pente est détritique mais vers la côte 2630 le sentier traverse un affleurement bizarre : un niveau de gneiss riches en quartz ou carrément de quartzites superposé à la série océanique profonde. Ces “schistes quartzeux” ont été rattachés à la base de la série permo-triasique de marge continentale dont on voit déjà d’ici la partie la plus typique, la belle bande blanche de calcaires dolomitiques un peu plus haut.

4. Schistes lustrés et métabasites du Combin en lits alternés, impliqués dans un pli. Au fond le Mont Rose.
L’interception de la bande blanche, cent mètres plus haut, se fait sur des éboulis ne laissant apparaître que de nombreux blocs blancs. L’affleurement en paroi est éventuellement visible plus à gauche (ouest), hors sentier. On y trouve des marbres dolomitiques et des quartzites lités en contact, au toit, avec des calcschistes et des métabasites de la Zone Combin. Un peu plus bas affleurent les schistes lustrés de la Zone Zermatt-Saas. L’ensemble est assez spectaculaire soit pour le contraste de couleurs, soit pour la signification tectonique de cette lame continentale, représentant un vieux rivage lagunaire (Trias, -250 à -200 millions d’années) interposé entre deux nappes océaniques plus jeunes (Jurassique, environ -150 millions d’années).
Plus haut, le sentier se faufile dans une belle tranchée de déstabilisation et marque une petite descente à la côte 2787 m dans un vaste pierrier, où il reçoit à gauche le sentier n° 19. En ce point nous quittons à droite (nord) le sentier en remontant les éboulis dans un modeste vallon. Deux petites failles E-W nous barrent le chemin en nous montrant de magnifiques sections de métabasites et métasédiments alternés et repliés. Nous les surmontons facilement pour atteindre les pâturages du plateau sommital. Ce plateau n’est rien d’autre qu’une épaisse dalle horizontale de calcschistes, craquelée par les failles, englobant de nombreux lits et boudins de métabasaltes et supportant quelques petits noyaux de serpentinite.
Les rognons noirs de serpentinite, très différents par rapport aux corps de serpentinite vert-bleue vus dans la zone océanique profonde de Zermatt-Saas, jalonnent le bord ouest vers le Valtournenche.

6. Un « champignon » d’érosion avec une dalle de métabasite pour chapeau et un pied de schistes lustrés résiduels.
Les lits de métabasites sont quelquefois isolés en dalles par l’érosion, et s’élèvent sur des pieds de schistes lustrés en forme de champignons.
Mais le grand spectacle, par temps limpide, est en bordure nord où le Cervin (4478 m) domine isolé le paysage entre le Mont Rose (ici la crête atteint 4165 m au Breithorn) et les Grandes Murailles, qui culminent à 4171 m. Le Mont Rose est constitué d’un noyaux continental éclogitique (visible à l’affleurement plus à l’est) qui garde la géométrie de sa surrection : une remontée rapide entraînant sur son dos une partie de la nappe océanique que l’on voit maintenant doucement inclinée vers la gauche (ouest).

7. Panorama depuis l’extrémité nord du plateau sur la cuvette du Breuil et ses montagnes, du Mont Rose à droite aux Grandes Murailles à gauche en passant par le Cervin.
De la frontière suisse aux pistes de ski à nos pieds et à notre plateau même, les différentes zones constituant la nappe océanique plongent des hauteurs du Mont Rose jusqu’au pied du Cervin et des Grandes Murailles en les soutenant à leur tour. La grande pyramide du Cervin en particulier est délicatement posée sur la Zone Combin par l’entremise d’une grande poche de gabbros délimitée par des mylonites sombres. Sous les Grandes Murailles, le plan de glissement de l’Unité Dent Blanche (avec le Cervin) sur l’Unité océanique piémontaise est assez bien reconnaissable au pied des principales parois rocheuses. Le contact remonte depuis les pâturages du Crot, sous la Dent d’Hérens, au Mont Roux près de la Fenêtre de Tsignanaz, pour ensuite contourner la base de la pointe Tsan et filer vers le sud-ouest.

8. OF : méta-ophiolites. ZZS : unité océanique éclogitique de Zermatt-Saas. ZC : unité océanique non-éclogitique du Combin. DB : nappe continentale du Cervin (Dent Blanche). G : gabbros du Cervin. vp : unité méta-sédimentaire de Valpelline.
Dans ce panorama, tout est rassemblé et soigneusement rangé pour nous faire comprendre les Alpes. Les continents européens (Mont Rose), africains (Cervin, Dent Blanche) et les fonds océaniques sont réunis et ordonnés en superposition. Tous les faciès métamorphiques y sont représentés, pour nous signifier le parcours de chaque roche jusqu’ici. La nature a tout fait pour nous faciliter la tâche dans un paysage époustouflant. Et malgré cela, bien de choses restent mystérieuses…
Se passer de la télécabine
La randonnée est faisable sans télécabine, ce qui est intéressant par exemple pendant les mois de fermeture, mais il faut calculer une heure et demie en plus. En voiture, il faut continuer jusqu’au premier embranchement après le Lac Bleu (restaurant), prendre à droite et s’arrêter au panneau d’interdiction (Layet ou Yette, 2040 m). Continuer à pied le long de la piste qui prend le n° 107 et suivre ce numéro quand il quitte la piste à droite, croise une conduite forcée et retrouve une piste un peu plus loin. À l’alpage de Verser le 107 file sur la droite mais nous continuons à gauche sur la piste en suivant dorénavant le n° 21. À l’alpage Cleva de la Seya ce même sentier n° 21 nous fait quitter définitivement la piste, puis descendre dans un étroit sillon, descendre encore dans un grand pré plat pour remonter le vallon jusqu’au Grand Plan où nous retrouvons enfin l’itinéraire précédent.