Itinéraire modulable pour l’automne, l’hiver et le printemps (sauf chutes de neiges d’autrefois…)
Accès en voiture : Autoroute A5 (Mt Blanc-Turin) sortie Pont-Saint-Martin – Centre-ville – direction Perloz – à g. direction Madonna della Guardia – à d. direction Colleré. Parking dans le village ou peu après, dans le virage en épingle.
Départ à pied : juste en amont de Colleré, en passant le petit pont sur le torrent Pigeon, altitude 800 m.
Objectif n° 1 : Breil 1080 m, dénivelée 320 m, entre 1 et 2 heures de marche et de visite.
Objectif n° 2 : Liavanère (Chisalle-Damon), 1300 m, dénivelée 540 m (220 m depuis Breil).
Objectif n° 3 : Mont de Beuby 1730 m, dénivelée 990 m (650 m depuis Breil).
Objectif n° 4 : Croix Courma 1990 m, dénivelée 1240 m (910 m depuis Breil).
Pour atteindre les objectifs 2, 3 et 4 le départ peut se faire depuis Breil, village relié au chef-lieu de Perloz par une route goudronnée signalée à droite après le village de Marine.
Deux types de roche pour construire chemins et villages
Depuis le petit pont en amont de Colleré, le grand sentier discrètement balisé en jaune s’accroche aux rochers et virevolte parmi les châtaigniers pour gravir la raide pente vers Chisalle-Desot (Chuchal sur certaines cartes). Comme c’est souvent le cas en Val d’Aoste, le long du sentier l’austère cadre naturel est adouci par un patient effort d’amélioration encore utile de nos jours: escaliers, replats, murets en pierre sèche.
La roche, omniprésente, se décline en deux typologies différentes. En premier lieu nous rencontrons des éboulis, puis des affleurements de roche cristalline massive finement grenue, sinueusement litée en plans minces et serrés. Sa couleur peut varier du blanchâtre, avec des grains clairs de plus grande taille, au gris-noir avec de petits cristaux sombres et miroitants. Un deuxième type de roche apparaît bientôt, nettement schisteux, riche en mica et en quartz. Cette configuration bimodale est assez courante dans les Alpes internes au contact avec la plaine du Pô, où le premier type de roche est censé dériver du second avant le serrage alpin. En effet, la roche grenue serait issue de la fusion locale en « bulles » d’une croûte continentale amincie, déjà proche des micaschistes actuels. Cette fusion partielle a été datée au Permien (-270 Ma) alors que l’ensemble de ces deux types de roche a été transformé par métamorphisme de haute pression – basse température (métamorphisme de subduction) lors des premières phases du cycle alpin (-75 Ma) pour donner respectivement des orthogneiss et des micaschistes éclogitiques.
À cet endroit précis, le métamorphisme a été accompagné d’une déformation intense, puisque les micaschistes sont très tordus et les orthogneiss présentent des bandes de cristaux alignés à allure glissante évoquant un nouveau début de fusion.
Crêtes et plaques affleurantes d’orthogneiss gris velouté sont surmontées sur le chemin par des escaliers en pierre et par des traverses creusées à même la roche, pour atteindre plus haut les terrasses perchées et les maisons de Chisalle-Desot. Le village, dont les édifices remontent pour la plupart au XIXe siècle, mais en partie sont plus anciens, est remarquable pour l’emplacement, la structure et l’homogénéité architecturale, ainsi que pour quelques détails comme les garde-manger souterrains. Là nous quittons le sentier balisé et poursuivons à plat au pied du village sur un sentier qui descend ensuite quelques dizaines de mètres jusqu’à traverser le petit torrent d’Astie.
Du marbre et du jade
Au-delà du torrent, jusqu’à Breil le sentier remonte le long d’une falaise dont les constituants sont dressés à la verticale. La section débute par un niveau de quelques mètres de roche à patine noire et terne, bien rangé dans la direction de la pente : il s’agit de marbre, de ces marbres anciens parfois exploités en Val de Gressoney pour la construction et l’ornement. Avec des contacts très nets, il est suivi par des micaschistes de couleur variable, très riches en quartz, dont l’intense déformation suit des directions apparemment désordonnées. Certains niveaux de quartz plissés dans la roche sont accompagnés ou remplacés çà et là par des nodules, lentilles ou boudins d’un minéral vert clair brillant de tonalité turquoise.
À ma connaissance, aucune analyse n’a été faite, aucun relevé cartographique ne les mentionne, et ils n’ont fait l’objet d’aucune publication ; mais il doit bien s’agir là de nodules d’un pyroxène sodique proche de la jadéite, issu de l’albite de l’ancienne croûte continentale suite à l’enfouissement lors des premières phases de l’orogénèse alpine (subduction). En effet, à des profondeurs d’une soixantaine de kilomètres s’enclenche la réaction solide « albite → jadéite + quartz » qui sert de baromètre pour les roches exhumées des entrailles de la Terre comme celles-ci. Par ailleurs, l’absence ou tout au moins la rareté du glaucophane nous sert de thermomètre, nous suggérant une température relativement élevée pendant l’enfouissement (le glaucophane à 60 km de profondeur n’est plus stable au-delà de 600°C).
Des villages, des paysages, des témoignages
Le grand village de Breil se visite le long d’une ruelle horizontale, en admirant les maisons-tours, les arcs, les escaliers, les pierres gravées. Au fond du village le sentier n°3 grimpe à mi-côte pour bientôt virer à gauche, prenant ainsi globalement la direction ouest jusqu’au Mont de Beuby. Le chemin bien aménagé nous fait connaitre des paysages très variés, de la hêtraie au bois de bouleaux et d’allouchiers, de la crête ensoleillée au ravin encaissé, de la cuvette humide au talus rocailleux. Une multitude de petites constructions cachées dans le taillis témoigne du long effort des hommes pour survivre une partie de l’année en ce milieu difficile : alpages, replats, bassins, caves. Sur une crête panoramique où le passage est creusé dans la roche une date est gravée : 1894.
Au premier escarpement nous traversons à plus haute altitude la même falaise de micaschistes qu’en bas, mais aucune trace de jadéite n’est plus visible. Par contre plus en amont un affleurement d’ « éclogites » est cartographié, je me propose de le chercher la prochaine fois.
En cherchant le chemin parmi les genêts, nous arrivons enfin sur le petit ressaut dit Mont de Beuby, à proximité du relais des télécommunications. Un joli témoignage du Cadastre sarde du XVIIIe siècle est gravé sur la dernière roche avant le précipice ; il indique la limite entre les communes de Donnas et de Perloz.
Nous sommes ici sur le rebord en amont de la dislocation profonde qui affecte tout l’adret de Donnas avec ses vignes et ses châtaigniers. Directement sous nos pieds la paroi verticale, ancienne niche de décollement, coiffe l’immense étendue de blocs fracassés couvrant la côte en continu, sans vallons ni cours d’eau. De rares maisons éparses profitent de quelques minuscules replats où de plus gros blocs ont retenu un peu de terre. D’innombrables trous entre les blocs soufflent de l’air froid en été comme en hiver. Cette dislocation a dû se produire à l’holocène, après le retrait du grand glacier pléistocène, et elle a dû probablement avancer par saccades ou par des mouvements très lents.
Des minéraux bien colorés pour raconter l’histoire des Alpes
Du Mont de Beuby au sommet de la Croix Courma aucun vrai sentier n’est tracé et donc il faut emprunter la large crête herbeuse, par endroits un peu raide. Mais sur les blocs et les affleurements du parcours, 260 m d’excellence minéralogique nous attendent. L’assemblage fondamental de ces roches est celui rouge-vert-bleu de l’éclogite : grenat et omphacite, toujours accompagnés par, et même noyés dans, le glaucophane. Mica blanc (phengite, paragonite) et épidote sont aussi bien présents. La fraîcheur de ces minéraux est souvent remarquable. À la faveur d’un pli de grande ampleur, une masse considérable de roches basiques (ancien socle de croûte continentale ? anciennes ophiolites ?) a été ici préservée dans son faciès de haute pression-basse température lors de la subduction alpine (-75 Ma).
Donc toute la masse de la montagne Croix Courma a bien traversé les mêmes événements géodynamiques, mais ayant des réactions différentes suivant la matière originaire. La masse siliceuse de la croûte continentale, peut-être légèrement réchauffée, à grande profondeur a donné lieu à quartz plus jadéite ; la masse basaltique préservée au froid à grande profondeur a donné lieu aux assemblages éclogitiques du grenat plus omphacite.
Le vaste sommet herbeux héberge un autel, plusieurs croix et un joli buste de la vierge ; mais surtout il offre un excellent panorama de la grande vallée qui s’ouvre à l’est vers la plaine. Sauf là où s’accumulent certains cônes de déjection, les deux côtés de la vallée, constitués de la solide roche que nous venons de piétiner, tombent raides sous la couche alluviale plate du thalweg, comme les rivages d’un fjord en terre. Il est probable que les deux pentes rocheuses ne se joignent qu’assez bas dans l’axe de la vallée puisque cette conformation hérite vraisemblablement du surcreusement torrentiel du Messinien (environ -5 Ma) lors de l’assèchement de la mer Méditerranée. Les grands glaciers du Pléistocène (à partir de -1,6 Ma) ont dû trouver le chemin déjà bien tracé.
Le temps nous est donné de casser la croûte et d’explorer les alentours. Le moment venu, reprenons le chemin en sens inverse en prenant note de tout ce qui nous a échappé à la montée. Mais une fois au lieu-dit Liavanère (Chisalle-Damon sur certaines cartes) nous avons la possibilité d’emprunter à droite le sentier n°7 qui descend directement à Chisalle-Desot sans passer par Breil : cela est recommandable si la voiture n’est pas garée à Breil. De Chisalle-Desot à Colleré le sentier est celui qui a été emprunté lors de la montée.
sono felice per aver trovato ulteriori, preziose e gradevoli note “geologiche” curate da Francesco Prinetti. Grazie ancora
Grazie Faustino di avermi pazientemente accompagnato e fatto scoprire il patrimonio etnografico di questi territori!
Magnifique. Quand peut-on s’y rendre?