Dans la serpentinite, mais non loin des éclogites océaniques, une faille départage la montagne, émiette la roche, trace un chemin de poussière grasse, de collines lunaires, de rochers orangés.

1. Les lèvres de la faille Raty ensevelies dans la poussière de cataclasite (« gouge »). À gauche les rochers issus de la faille, enduits de carbonates (« listvenites »). Photo Roberto Facchini.
Commune : Champorcher (Vallée d’Aoste, Italie)
Accès : de la Route Nationale (S.S. 26) entre Bard et Arnad, au rond-point prendre la route régionale de la Vallée de Champorcher jusqu’au chef-lieu Château. De là prendre à droite pour les localités nommées Mont Blanc et Dondenaz, continuer sur la piste en terre jusqu’à l’embranchement de Chapy, départ du sentier n° 9 A. Au total 20 km depuis le rond-point.
Départ à pied : altitude 1920 m, embranchement pour Chapy, début du chemin n° 9 A, GPS 390.200,00 – 5.053.250,00.
Arrivée : en amont du Lac Raty, 2370 m environ.
Dénivelée : 450 m plus quelques crochets.
Remarque : l’accès n’est pas possible aux cars de plus de 20 places.
Après le premier alpage la piste devient vite un sentier qui gravit en zigzag la falaise de serpentinite. À mi-chemin une source jaillit de la roche. Au sommet, le chemin reprend moins raide dans les pâturages du vallon. Plus haut, sur la gauche, une surprenante ribambelle de roches orangées retiendra notre attention : la visite est prévue au retour. À la côte 2240 m le sentier bifurque : nous nous tenons sur la droite en suivant la nouvelle balise n° 9 C. Mais déjà un peu avant l’alpage de Raty-damon (2270 m) nous quittons le sentier et nous prenons à gauche la pente la plus raide dans les prés du vallon. Nous remontons le vallon en gardant le ruisseau sur notre gauche et nous visitons les blocs bleuâtres ainsi que les petits affleurements. La plupart de ces roches sont des glaucophanites à grenat, avec quelques cristaux verts d’omphacite. Si l’omphacite indique la haute pression, le glaucophane garantit la basse température : il n’est plus stable au-delà de 550°C (maximum 600°C pour des profondeurs supérieures à 80 km). Cela indique un gradient géothermique très faible, c’est-à-dire une croûte froide comme c’est le cas pour une plaque en subduction. Ces roches éclogitiques, plutôt bien préservées dans leurs équilibres de haute pression/basse température, affleurent en marge d’une masse de serpentinite (à l’ouest), dans le cadre de l’Unité Zermatt-Saas. Pour l’échantillonnage il faut avoir une autorisation du Parc naturel régional du Mont Avic, tél +39 0125 960643, e-mail : info@montavic.it.
Redescendus à l’alpage de Raty-damon, nous continuons tout droit le long de la large crête en direction du sud, vers le sommet dit Bec Barmasse. Nous rencontrons d’abord une suite de minuscules affleurements avec des amphibolites vertes, des métagabbros et des filons à réaction rodingitique (silicates de calcium) qui se produisent dans la phase ascensionnelle après la subduction. Ces affleurements se terminent sur une dizaine de mètres de roche finement broyée ; au-delà il n’y a que de la serpentinite, soit en éclats, soit en rochers de crête sur notre droite.

4. Les rayures indiquant le mouvement de la faille Raty en direction NE-SW. La serpentinite se recristallise sur les surfaces de frottement.
Vers la crête sommitale (2311 m), allongée W-E, nous rencontrons de précieuses dalles blanches, rayées de jaune : ce sont des indicateurs cinématiques. En effet la roche finement broyée que nous avons traversée était la « gouge » (cataclasite fine non consolidée) d’une faille active sous-jacente, qui a laissé ici la preuve de son mouvement. Les rayures indiquent une direction NE-SW. Comme nous le verrons au bout de la crête, la faille aussi s’allonge en direction NE-SW : il s’agit donc d’une faille décrochante. Plus difficile sera de déterminer le sens du mouvement, qui est senestre : le secteur au NW se déplace vers le SW.
De l’extrémité E de la crête nous observerons la bande de gouge qui marque la suite du parcours de la faille, en premier lieu la section du rocher appelé Mont Ros en face de nous où elle montre son pendage NW à 45°. À droite du massif blanc du Mont Rose qui apparait au fond, la faille marque un ensellement où on peut apercevoir un édifice, un refuge. C’est ce refuge qui baptise la faille : Ospizio Sottile, du nom de l’abbé Sottile qui construisit le refuge.
Au retour, une fois arrivés à l’alpage il est conseillé de remonter au lac Raty (2284 m) et de continuer vers le SW sur les énormes collines de gouge jusqu’au sillon de la faille, bordé du liséré de rochers ocre ou orangés vu à la montée. Ces rochers contrastent vivement avec les menus éclats foncés de serpentinite verte ou violacée qui les entourent. Les rochers ocre sont encore en serpentinite mais ils sont altérés et enduits d’une mousse de carbonates probablement dérivée des fluides à CO2 circulant dans les profondeurs de la faille.
Cette manifestation de la vie profonde de la planète est porteuse d’une grande valeur pédagogique grâce à la vivacité de ses formes et de ses couleurs : sans avoir les inconvénients d’un tremblement de terre ou d’une éruption volcanique, elle véhicule les idées fondamentales d’interaction profondeur-surface, de mobilité de la surface terrestre, de temps géodynamique, de façonnement du relief et d’évolution du paysage.